Qu'est-ce que la philosophie ?

Je pense qu'il est de bon ton, pour inaugurer notre entreprise que de se poser la question : qu'est-ce que la philosophie ? Autrement dit, de votre avis, que faisons-nous là à discuter ? Qu'entendez vous par ce terme "philosophie" ?

Je vais tenter grossièrement de répondre à cette question par quelques points. Qu'est-ce que la philosophie ?

• Ce qui nous différencie des animaux, non pas par « satisfaction de supériorité » ou par négation de la vie non-humaine, mais dans le sens où il apparaît pour moi absurde de ne pas se servir de nos facultés/ressources uniques pour appréhender le monde, et comme on dit (entre autres) « la philosophie, reine des sciences ».  
  

• Un « processus » de questionnements qui débouche sur des réponses difficilement obtenables en réfléchissant « au premier degré ». Le philosophe, à la fois fou et génial, se définit comme non-conventionnel par essence. Et, pour ne pas citer Jostein Gaarder : « L'enfant est sans préjugés, qualité première d'un grand philosophe. Il perçoit le monde tel qu'il est sans idées a priori qui faussent notre vision d'adultes. », autrement dit chaque être humain est un philosophe en puissance, et comme il le cite plus loin dans le roman par le biais d’un de ses personnages, seuls les enfants (ingénus) et les philosophes ont cette qualité commune, que perdent la plupart des adultes. (des adultes conventionnels, donc) Ce qui m’amène à mon 3ème point :
  

• La philosophie, l’art de l’étonnement : rien ne va de soi sans être réfléchi, ou au contraire réfléchir sur ce qui semble au premier abord comme évident. La philosophie permet d’accéder à cet « état de conscience » tel qu’on accepte (accepter dans le sens « ouverture d’esprit ») avec bienveillance le paradigme qu’on peut nous exposer.
  

• Et bien sûr, la philosophie existentielle : notre condition humaine bien sûr, mais aussi et peut-être surtout le concept même de l’existence.
  

Voilà quelques aspects de la philosophie qui me motivent à philosopher (désolé pour la tautologie :p). Il ne s’agit là que de mon approche incomplète bien entendu.

J'avais vu l'an dernier une vidéo d'un prof inspirant, que vous connaissez sans doute :

Sur le premier point, je pense qu'on peut s'accorder pour dire que la philosophie est propre à l'espèce humaine, du moins à certains de ses représentants, mais pour autant il n'y a pas que la philosophie qui nous différencie des autres animaux (par exemple les institutions scientifiques, etc.). Je pense que si on entend par la philosophie un certain discours, il va de soi qu'il implique la possibilité même du discours. Je veux dire par là que si la philosophie est un type de discours (ce n'est pas mon avis mais j'y reviendrais), ce discours découle du langage articulé qui nous est propre (enfin, à ma connaissance). Ainsi, c'est davantage ce langage articulé qui rend possible l'avènement d'un discours philosophique (et d'autres discours) qui nous spécifie par rapport aux autres animaux. On pourrait évoquer la cognition qui est partagée par de nombreuses espèces et qui s'effectue par des moyens divers, répondant probablement aux besoins respectifs de ces espèces relativement à leur environnement, mais c'est un autre débat.


Sur le processus de questionnements et l'étonnement, je ne peux que te rejoindre. D'ailleurs, un des livres qui m'a initié à la philosophie (quoi que cela puisse être) s'appelle L'étonnement philosophique (Jeanne Hersch) et il raconte par quelques grands noms de la philosophie occidentale les étonnements qui ont amené ceux-ci à proposer un point de vue inédit sur le monde.


Pour citer Bertrand Russell :

Philosophy, if it cannot answer so many questions as we could wish, has at least the power of asking questions which increase the interest of the world, and show the strangeness and wonder lying just below the surface even in the commonest things of daily life.

Pareil pour le caractère inconventionnel du philosophe, je pense par exemple aux cyniques qui vivaient en marge de la société et refusaient les conventions sociales, ou plus simplement à Socrate qu'on qualifiait d'atopos (sans lieu en gros), c'est-à-dire déroutant, bizarre. C'est là qu'on en vient pour moi au fond de la philosophie. Je me situe dans le sillage de Pierre Hadot pour penser que la philosophie est avant tout une manière de vivre, telle qu'elle fut conçue pendant l'antiquité. Le philosophe fait le choix d'un mode de vie qui l'engage entièrement.  

Henry David Thoreau a écrit:Etre philosophe, c'est résoudre quelques-uns des problèmes de la vie non seulement en théorie, mais en pratique

le même a écrit:Être philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d'indépendance, de magnanimité et de confiance.

Il y a trois lieux que l'on peut nommer pour diriger cet effort (je ne fais que reprendre Hadot ici, qui reprend lui-même Epictète) : le rapport au monde, le rapport aux autres et le rapport à soi, qui se matérialisaient à l'époque par les trois parties de la philosophie (Physique, Ethique, Logique). Ce découpage n'avait pas seulement vocation à distinguer des champs théoriques mais à proposer des lieux de l'exercice spirituel ou de la vie philosophique qui finissaient par s'intégrer à la vie de la personne, par l'exercice constant. Je ne vais pas aller plus loin sur ces questions pour le moment car il y a beaucoup à dire, mais je pense que cela donne une idée de mon point de vue.


Par contre, je ne comprends pas bien ton dernier point sur la philosophie existentielle, tu pourrais préciser ?


Pour ce qui est de la vidéo, je ne connaissais pas le personnage mais j'ai trouvé le discours très confus et partant dans tous les sens, sans compter la justification désastreuse de la xénophobie appuyée par une analogie vaseuse entre le corps biologique et le corps social...

Je pense que vous avez déjà été assez exhaustif sur la définition de la philosophie.  Je vais donc essayer de rajouter quelques éléments qui me paraissent essentiels pour parfaire la notion , tout en évitant les tautologies :

-  Elle met en exergue au moins deux questions fondamentales  ;  " Que puis-je savoir ?" et " Que dois-je faire " ?  ( les deux questions essentielles de la philosophie chez Kant). En somme, elle tente d'unifier  ( et c'est là toute la difficulté)  le savoir dans sa pure dimension scientifique et la sagesse dans sa pure dimension éthique et spirituelle (métaphysique).  Elle se différencie donc,  des deux autres grands systèmes de pensées que sont la Science et la Religion , ces dernières traitant  chacune, une seule des deux questions.

-  Elle se distingue de part son rapport à la Vérité : La recherche de la Sagesse, la recherche de la Vérité  : elle est engagée dans un processus , un  mouvement dynamique et dialectique.  La Vérité c'est son chemin, son orientation  et non son objet qu'elle tient main propre , elle n'est pas de l'ordre d'une possession, mais d'un cheminement progressif,  c'est précisément ce qui permet de distinguer le philosophe du sophiste.  
Ainsi,  toutes les doctrines philosophiques, y compris les plus sceptiques envers le concept de Vérité, se définissent par rapport à elle.


- Elle est le résultat d'un mouvement historique :  il existait déjà des systèmes de pensées très puissants antérieurement à la philosophie , mais on ne peut pas dire qu'il s'agissait précisément de philosophie. Elle apparaît en Grèce Antique dans un contexte très particulier de crise.  C'est avec les Grecs qu’apparaît le langage de la rationalité tel qu'on le connaît encore aujourd'hui en Occident . Le logos étant la particularité de l'être humain.  Le logos,  concerne à la fois , l'homme dans son individualité mais aussi quelque chose de l'ordre d'une nécessité universelle. C'est ce qui va lier l'homme et le monde . Cette certaine écriture du monde ( rationnelle)  va permettre à l'homme  de s'engager dans ce processus de compréhension de cette universalité.
Traditionnellement, on dit qu'elle commence  avec Socrate :  à travers l'art de la discussion , c'est à dire précisément sur un échange de paroles, de signes linguistiques qui revoient à un savoir. Elle permettrait à l'homme de progresser dans la connaissance et la vérité par la réfutation et l'élimination progressive du faux. Comme pour Platon,  l'art du dialogue, permet de faire accoucher ( la maïeutique)  le vrai , mais toujours par étapes successives.
Avec cette première "méthode" d'accès au Vrai,  Socrate, a été accusé et condamné à mort pour avoir corrompu la jeunesse de son époque . Ceci marque le commencement d'un long combat entre les forces obscures du pouvoir de la cité et le langage de la raison .

- A la manière du philosophe Dominique Pagani, je dirais que la philosophie a deux grands ennemis : Le dogmatique absolu qui se veut être la digne incarnation de la Vérité et le Sceptique absolu qui lui se veut être le fossoyeur de tout savoir authentique.

Voilà je pense que ces quatre points sont des critères importants  pouvant venir étayer cette définition bien difficile de la philosophie

Je crois que tu as oublié la troisième question de Kant : que m'est-il permis d'espérer ?

Quoi qu'il en soit, nous voilà déjà avec quelques réponses.